CONFERENCE INAUGURALE DONNEE PAR MONSIEUR LE MINISTRE DE
L’ENSEIGNEMENT SUPERIEUR ET DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE A
L’OCCASION DE LA RENTREE UNIVERSITAIRE 2022-2023 A L’UNIVERSITE DE
MASCARA, LE 17 SEPTEMBRE 2022.
L’université est-elle responsable des générations futures ?
Conférence inaugurale donnée par Monsieur le Ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique à l’occasion de la rentrée universitaire 2022-2023 à l’université de Mascara, le 17 septembre 2022.
Mesdames et Messieurs,
C’est avec un plaisir renouvelé que je participe aujourd’hui avec vous pour marquer le début de la rentrée universitaire 2022-2023. En l’occasion, et en de pareilles circonstances, des conférences inaugurales sont organisées dans les établissements de l’enseignement supérieur. J’ai donc l’honneur de relater devant vous un thème qui me semble important, concernant la responsabilité de l’université pour les générations futures.
Mesdames et Messieurs,
Je commencerai tout d’abord par situer le contexte en définissant les principaux antagonistes qui interviennent dans ce thème, à savoir la responsabilité, l’université et la génération future.
Dire que quelqu’un est responsable c’est lui attribuer la paternité d’un acte, ou bien qu’il est l’auteur d’un fait qui l’oblige d’en assumer les conséquences, que ces conséquences se produisent au présent, voire même à l’avenir.
Les générations futures sont un espace qui ne s’est pas encore construit, qui concerne donc des personnes dont l’existence n’est pas déterminée, mais qui peut être affectée par nos actions au présent ; autrement dit des personnes du futur (avenir) qui peuvent aider au présent à émettre ou prédire des hypothèses sur des scénarios, qui ne sont pas forcément liés de manière causale à nos actes.
L’université quant à elle est un espace qui assure son rôle social en contribuant à la croissance économique du pays en lui fournissant les ressources humaines nécessaires. A cet effet, elle a pour rôle de :
– Acquérir, développer et assurer le transfert des connaissances,
– Former des ressources humaines pour assurer son propre fonctionnement et pour le
développement économique du pays,
– Participer au développement de la conscience civique et le développement à long terme de la société,
– S’impliquer dans les services communautaires régionaux et nationaux (voire l’expérience de l’université de Msila et l’étudiant 5 étoiles),
– Le développement économique durable : social, environnemental et technologique.
L’élément primordial dans la définition de l‘université est l’être humain, et c’est la raison pour laquelle, dans la suite de mon exposé, j’évoquerai indifféremment université ou universitaires.
Mesdames et Messieurs,
Une fois le contexte placé, alors, la grande question qui se pose est de savoir si l’université peut-elle engager sa responsabilité pour assumer des évènements qui ne se sont pas produits, seulement susceptibles de se produire à l’avenir.
La responsabilité de se projeter à l’avenir dans de pareils cas semble à priori irréalisable, mais pouvons-nous nous exonérer de nos responsabilités sur des domaines divers que nous assumons tels que le réchauffement climatique qui mettrait la vie des générations futures en danger, ou l’endettement dont la conséquence est d’appauvrir la richesse (PIB) des générations futures ?
Si on accepte que le monde soit formé du passé, du présent et du futur bien que l’échelle reste à préciser, et que l’humain en est le moteur, il n’y a aucun doute que notre implication en tant qu’universitaires est engagée sur le présent et le futur tout en ayant de la dignité pour les gens du passé. Il s’agit d’une question manifeste pour le grand public mais dont les travaux de recherche demeurent « atones ».
Ainsi, l’université peut être concernée par le passé, le présent et l’avenir. Je répondrai en séquence à deux de ces trois interrogations. La troisième, le présent, n’est pas de la thématique traitée.
La première interrogation est que L’université est-elle responsable du passé ?
En tant qu’universitaires, nous ne pouvons pas d’un revers de la main balayer tout ce qui a été fait par ceux qui n’appartiennent pas à notre communauté morale, c’est-à-dire des gens qui n’existent plus et dont certains ont marqué leur époque. Nous avons au moins envers eux les obligations morales suivantes :
a) Bien que nous ne puissions débattre avec aucune personne qui n’est plus en vie, ni que celle-ci puisse se défendre, nous pouvons tout au moins considérer à leur égard certaines éthiques comme ne pas profaner leurs tombes, ne pas les calomnier…
b) Ne pas prendre pour nous ce qu’ils ont créé comme modèles et théories,
c) Leur manifester notre reconnaissance car, nous universitaires, nous vivons en grande partie de leurs travaux et découvertes. Le physicien, le mathématicien travaille sur la base des théories et modèles construit par ces gens qui n’existent plus.
En revanche, il semble que nous pouvons aussi parfois tenir des personnes ayant vécu dans le passé moralement blâmables pour la façon dont leurs actions nous ont touchés. A titre d’exemple, considérez un homme d’aujourd’hui dont les parents ou grands-parents ont été torturés et assassinés par l’armée coloniale dans les Aurès ou en toute autre région du pays.
En plus de blâmer les colonialistes pour ce qu’ils ont fait à ses grands-parents, cette personne n’a-t-elle pas aussi un droit de tenir les colonialistes responsables de lui avoir personnellement fait du tort en causant la mort de ses parents ou grands-parents. Ces colonialistes n’ont eu d’effet que de satisfaire leur délire du moment par des actes criminogènes sur des individus ; ils ne font pas partie du passé des humains. Cela soulève encore une question tout aussi intéressante : pourrions-nous avoir des obligations morales envers les générations du futur – envers ceux qui n’ont pas encore vu le jour. Cette question peut être plus importante aujourd’hui que jamais.
La deuxième interrogation est que l’université est-elle responsable des générations futures ?
Alors que la population mondiale avoisine les huit milliards d’individus, la conséquence est que nous arrivions à manquer tôt ou tard des ressources nécessaires pour la survie des gens qui vivent leur présent, peut-être nous. Avons-nous un devoir moral de limiter l’utilisation de ces ressources pour assurer des horizons aux générations futures ? La plupart des scientifiques conviennent que notre dépendance actuelle aux combustibles fossiles réchauffe le globe jusqu’à 4 ° F par siècle. Cela peut sembler peu, mais les calottes polaires fondent déjà et le niveau mondial de la mer semble augmenter à un rythme préoccupant. Si ces tendances se poursuivent, les régions basses du monde (situées sous le niveau de la mer) comme une partie de l’Algérie, de l’Egypte…seront fatalement inondées, les maladies tropicales se propageront dans les zones tempérées d’aujourd’hui, et les sécheresses étendues réduiront la production alimentaire mondiale. Bien que ces préoccupations n’aient pas un grand impact sur nous, au présent, en revanche, elles sont susceptibles d’avoir des effets drastiques sur les générations futures.
Un autre fait tangible est l’endettement qui tend à prendre des proportions inquiétantes dans tous les pays. L’humanité a déjà réussi la prouesse de « coller » quelques milliers de dollars de dettes pour chaque nouveau-né du futur ! Étant donné que nous avons une certaine capacité à modifier ou du moins à ralentir ces tendances, n’avons-nous pas l’obligation morale d’agir aujourd’hui pour le bien de nos futurs descendants ?
Mesdames et Messieurs
A l’état actuel du développement du thème, il apparait clairement que l’université doit non seulement être reconnaissante pour les gens du passé, mais aussi pour les générations futures en leur témoignant nos devoirs que nous avons envers eux.
Pour commencer à apprécier les problèmes potentiels soulevés par les générations futures- et de voir comment nous pourrions répondre à ces problèmes – faisons d’abord quelques objections à l’affirmation selon laquelle nos devoirs moraux ne peuvent s’étendre qu’aux personnes existantes, et pas aux générations futures du fait de leur inexistence au présent, et par conséquent, il n’est pas possible d’avoir une quelconque obligation morale envers elles. Il y a de nombreuses raisons de penser que cette affirmation est erronée. Accepter cette affirmation c’est accepter d’exclure également toute revendication ou responsabilité morale envers ceux du passé puisque les gens du passé n’existent pas plus actuellement que les gens du futurs ! Pourtant, comme nous l’avons déjà discuté, nous avons certainement des préoccupations morales pour les personnes du passé. Nous avons le devoir moral de respecter leur dignité et témoigner notre reconnaissance.
Ceux qui vivaient dans le passé doivent avoir eu des obligations morales envers les gens du présent, c’est-à-dire nous. Mais à l’époque, les gens du passé était leur présent, et les personnes envers lesquelles ils avaient des obligations étaient des personnes qui n’existaient pas encore, c’est-à-dire nous. L’invention de la pénicilline n’était pas destinée seulement à leur génération, mais bien aussi aux générations suivantes ! Bref, ils avaient des obligations envers des personnes qui leur étaient futures c’est-à-dire des gens du présent, c’est-à-dire nous. De la même manière, nous, les gens du présent pouvons avoir des obligations morales envers les générations futures.
Jusqu’à présent, nous avons eu recours à nos intuitions morales pour suggérer comment nous pouvons avoir des obligations morales envers les générations futures. Un argument simple, cependant, peut également être proposé pour justifier notre responsabilité pour les générations futures. Ces générations auront des intérêts personnels importants, y compris des intérêts dont nous avons le pouvoir d’affecter par nos choix aujourd’hui. Par exemple, si nous continuons notre extravagante consommation d’énergies fossiles sans se soucier aux aspects environnementaux, ces populations du futur seront confrontées aux inondations des zones côtières, à la propagation des maladies tropicales et aux sécheresses meurtrières. Bon nombre de leurs intérêts les plus importants, y compris leur la santé et la survie, seront affectés par nos choix au présent. Mais cela ne nous confère-t-il pas une sorte d’obligation morale de ne pas agir de manière à nuire aux intérêts de ces personnes, même si l’incertitude de l’avenir ne nous rend pas totalement responsable, et même si notre relation avec les personnes futures est unidirectionnelle et non réciproque. Les personnes futures, hélas, seront incapables d’avoir sur nous un quelconque levier pour nous récompenser ou nous punir. Elles peuvent néanmoins affecter certains de nos intérêts en nous incombant la responsabilité de l’endettement par exemple, mais à cause de cette relation univoque, elles ne peuvent avoir sur nous le même effet que nous nous pouvons avoir sur eux.
Mesdames et Messieurs,
Mais la responsabilité ne nous rend-t-elle coupable envers les générations futures ? Si on accepte le concept de responsabilité comme le fondement de la conduite des individus en société, autrement dit de la vie éthique, alors on doit accepter que nous les universitaires sommes responsables de tout ce qui découle de nos actions au sens large du terme. La culpabilité est une conséquence de la responsabilité, mais elle n’a aucune valeur morale positive. A titre d’illustration, l’enseignant (ou l’enseignante) ne devient pas un bon enseignant (ou enseignante) en se sentant coupable ; on devient bon en faisant ce qui est bien, parce que c’est bien… En fait, si on fait ce qui est bien pour ne pas se sentir coupable, on n’agit pas du tout moralement. La culpabilité ne peut jamais être la motivation de la moralité. Souvent, en effet elle conduit à des actes désespérés, et nous fait penser que nous faisons quelque chose alors que nous ne faisons qu’apaiser notre responsabilité. Nous pourrons ainsi être responsables de l’avenir mais pas coupables car on ne peut être responsable d’un acte qu’on n’a pas voulu ou qu’on pas prévu, ce qui diffère d’acte prémédité.
Mesdames et Messieurs
A titre conclusif, l’humanité est confrontée au plus grand défi de son histoire. L’Université est au centre de défis. D’une certaine manière, nous sommes, nous universitaires, en partie responsables de l’avenir même s’il est incertain et que nous ne savons pas tout comment il sera façonné, si ce n’est par des prédictions et des simulations.
Être responsable de l’avenir ne doit pas impliquer qu’on soit, par avance, responsable de tout ce qui peut arriver. Notre vie actuelle est affectée par des facteurs climatiques, énergétiques, sociaux et économiques dont les conséquences risquent bien de mettre en péril le devenir des générations futures, et dont leur prise en charge actuelle nous empêche de penser aux autres.
Mais quelque soient les considérations, nous ne pouvons échapper au verdit de l’histoire. Abraham Lincoln, en pleine guerre de Sécession, dans son discours au Congrès américain du 1er décembre 1862 indique que « Nous ne pouvons pas échapper à l’histoire. On se souviendra de nous malgré nous. Aucune signification ou insignifiance personnelle ne peut épargner l’un ou l’autre d’entre nous. L’épreuve ardente que nous traversons nous éclairera en honneur ou en déshonneur pour les dernières générations… Nous détenons le pouvoir et assumons la responsabilité. ». La manière de conduire les politiques est déterminante. Le Président de la République, Abdelmadjid Tebboune, dans l’une de ses conférences avec les journalistes, souligne que « nos actes au présent seront le témoignage de ce que nous sommes aujourd’hui pour les générations futures ».
A travers cet exposé qui peut donner lieu à un débat intéressant, où la réflexion portera sur la responsabilité et aux conséquences qui peuvent résulter d’un acte, et comment les assumer ? L’étudiant est au centre de cette problématique. N’est-il pas un acteur du présent mais aussi du futur ? Ne sera-t-il pas amené à devenir, le travailleur, le responsable, le ministre, le président ? Il est donc le principal à qui la bonne compréhension du présent est destinée pour bien façonner son avenir et contribuer à l’émancipation de tous les repères socio-culturels et à la prospérité de l’Algérie. La responsabilité de l’université est à la fois un acte citoyen, incommensurable, et où tous les acteurs sont concernés : L’enseignant pour bien enseigner, l’étudiant pour bien apprendre, le technico-administratif pour bien assurer le fonctionnement des structures de l’université.
Mesdames et Messieurs
Je ne manquerai pas en cette occasion de relever et de vous part de l’intérêt sans mesure qu’à Monsieur le Président de la République, Abdelmadjid Tebboune, pour l’université. La lecture des 54 engagements de son programme pour bâtir une Algérie nouvelle est édifiante à plusieurs égards. La concrétisation de ces engagements à travers les objectifs définis dans le programme d’action du gouvernement dotera l’université des outils et des matériaux les plus modernes pour résorber la problématique de l’inadéquation des compétences qui demeure un défi majeur aussi bien pour les décideurs politiques, que pour les partenaires sociaux. Elle vise à offrir à l’économie nationale des cadres hautement employables, disposant de compétences académiques et transversales, car l’étudiant moderne a besoin de compétences supplémentaires autres que traditionnelles pour réussir. Elle vise aussi à bâtir une université qui génère la richesse et la croissance par la recherche scientifique et l’innovation, et s’adapte aux contextes et mutations modernes sans cesse en mouvement. La valorisation des fonctions de l’enseignant-chercheur et du chercheur en améliorant leur statut, la réorganisation du système des œuvres universitaires pour assurer à l’étudiant un cadre de vie décent et de qualité en termes d’hébergement et de restauration, l’amélioration des performances et de la gouvernance de l’université et son ouverture structurée sur l’environnement national et international, sont des mesures prises pour concrétiser les engagements autour de l’ESRS du programme de Monsieur le Président de la République.
Je vous remercie infiniment de votre écoute.
Professeur Kamel BADDARI
Ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique